La parabole du réveil-matin

Il y avait un homme qui aimait beaucoup dormir. C’était son passe-temps favori. C’était même son unique passe-temps. La grasse matinée n’avait plus aucun secret pour lui, à tel point qu’elle se prolongeait jusqu’au coucher du soleil.

Quand il daignait ouvrir un oeil, il se rendait compte que la lune et les étoiles étaient déjà bien brillantes dans le ciel. Alors, fatigué de lever son oeil aussi haut, il le refermait bien vite et plongeait de nouveau dans un profond sommeil.

Étrangement, tous les matins, un réveil se mettait à sonner. Le plus étrange, c’est que l’homme n’avait pas de réveil chez lui. Il en était sûr ! Il aurait bien voulu saisir cet objet de malheur et le jeter contre un mur, d’autant plus que ce réveil sonnait toujours au plus profond de son sommeil. Mais il n’en avait pas le courage. Cela supposait d’ouvrir les yeux, et de marcher jusqu’à ce réveil, au risque de heurter quelque table, quelque meuble.  Il s’acharnait donc à dormir bruyamment sur son lit, en ronflant plus fort que le réveil lorsque celui-ci se manifestait. Sa vie se résumait donc à un sommeil bruyant, ouvrant l’œil de temps à autre pour vérifier que la nuit le couvrait toujours.

Le réveil quant à lui, ne se déboulonnait pas et ne s’en laissait pas compter. Tous les matins, avec la même bonne humeur et la même espérance, il recommençait son joyeux tintamarre : « Le jour s’est levé ! La lumière est belle ! Debout ! Il y a tant de choses à faire dans le monde », répétait-il avec insistance.

Rien à faire ! Le cas semblait désespéré !

Et puis, un beau jour, ou plutôt une nuit, il remarqua que sa vue, blasée par une aussi longue inactivité, commençait à baisser sensiblement, à tel point qu’il devenait aveugle. Alors, pris de panique à l’idée de ne plus pouvoir observer l’ombre profonde des plis et des replis géniaux qu’il formait en se lovant dans son lit, il se leva en pleine nuit et se mit à appeler au secours. Pas de réponse. Il redoubla ses appels, et voici que le réveil s’approcha tout joyeux, et lui dit : « Suis-moi, sors de ta maison et tiens ton regard droit devant toi. L’aube approche, elle t’appelle ».

Alors l’aube se leva. Il écarquilla les yeux autant qu’il put et la lumière rasante vint balayer son regard. Les ténèbres qui l’environnaient le quittèrent et il vit de nouveau. Mais son regard avait changé. Tout prenait sens désormais. Et il se rendit compte que cette lumière était magnifique, et qu’il pouvait sans regret délaisser les fausses sécurités de la nuit.  Elles ne lui manqueraient pas.

Quant au réveil matin, il fut plongé dans une joie indicible. Alors, revêtant son aube et sa chasuble, il se mit en route vers d’autres lieux pour célébrer cette aube sans cesse nouvelle en chantant : « par ta lumière, nous voyons la lumière ».

Père Damien Etemad-Zadeh