Ici et maintenant !

Lettre pastorale 2019

« Oui ou non la vie a-t-elle un sens, et l’homme a-t-il une destinée ? »
J’espère que, comme le philosophe aixois Maurice Blondel, tu t’es déjà demandé si ta vie avais un sens, si ton existence avait une signification. « Que faire de ma vie, moi qui suis étudiant ou jeune professionnel sur Aix, en 2019 ? »Tu ne trouveras pas la réponse dans cette lettre, mais je voulais t’écrire pour t’aider à apporter ta propre réponse à cette convocation de la vie adulte.En 2019, il y a de quoi être inquiet sur le sens de la vie et sur le futur de notre pays et de la Terre. Tu peux légitimement avoir peur aujourd’hui que le climat ne soit pas le bon pour que ta vie prenne toute son ampleur, que le climat ne soit pas suffisamment bon pour que tu réalises ce à quoi tu es appelé.
Tu peux ressentir la peur de la vie professionnelle. Aujourd’hui, plus qu’il y a 10 ans, on te dit que tu vas pouvoir changer de travail plusieurs fois dans ta vie, ce qui est peut-être une bonne chose, mais qui peut rendre difficile ton implication dans tes études : « à quoi bon travailler si dur, tant d’années, si c’est pour vivre une toute autre carrière ensuite ? »
Tu peux aussi avoir cette peur que cela ne va pas durer pour toujours : « comment croire au mariage vu le nombre de divorces autour de moi ? Comment croire à l’engagement dans le sacerdoce et la vie religieuse quand j’ai l’impression que je risque d’être comme le dernier des Jedi sur une île déserte ? »
Tu peux enfin douter de ta force pour y arriver : « serai-je à la hauteur de cet engagement ? serai-je à la hauteur de mes aînés de mes parents ? »

Il y a en toi, d’une part, cette grande volonté de t’engager résolument dans la vie et, d’autre part, ces peurs que je viens d’énumérer, peurs qui sont comme des attaques du Mal pour te casser les genoux et les chevilles, pour te faire tomber à terre, t’empêcher de marcher et de te relever. Mais tu n’es pas seul dans ce combat. Comme à la Vierge Marie qui demandait « comment cela va-t-il se faire ? », le Seigneur te répond, ne crains pas mon cher, ma chère, « ne crains pas, l’Esprit Saint viendra sur toi ». Le Seigneur a donné la force de son Esprit Saint à une jeune fille de Galilée pour qu’elle porte le Sauveur du monde. Ensuite, par la force de l’Esprit, Marie a pu suivre et accompagner son fils, c’est-à-dire vivre la mission que le Dieu lui avait donné. Plus encore, elle a accompagné les groupes des apôtres, elle était là avec eux à la Pentecôte, et elle continue d’accompagner les hommes et les femmes qui marchent à la suite du Christ… « car rien n’est impossible à Dieu ».
« Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ? (…) en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés » (Rm 8, 35-37). L’Esprit Saint vient sur toi, ne crains donc pas parce que, ainsi, tu es rendu capable de vivre ta vie, avec tes questions et tes peurs, avec ce que ta vie a d’aléatoire, de compliqué, et – attention spoiler – de décevant.

Être adulte, ce n’est pas ce que tu imaginais il y a encore 5 ou 10 ans… et tant mieux, car tu quittes tes rêves pour incarner ta vie. Ta vie de jeune adulte n’est pas forcément celle dont tu rêvais. Mais, si j’ose dire, elle est mieux que cela, parce qu’elle est justement une réalité. Ta vie d’adulte est certes limitée, contrainte par telle ou telle contingence, mais c’est dans ta vie telle qu’elle est que l’Esprit Saint rend toute chose possible.
Ta vie réelle, avec tes tristesses et tes angoisses, avec tes joies et tes espoirs, c’est le lieu de ta sainteté. Regarde la vie de Marie et de Joseph : Dieu est venu dans leur vie très concrète (un petit village au fin fond d’une région du Moyen-Orient, la vie humble et sérieuse d’un artisan) pour y faire germer le salut, la Vie nouvelle. Leur vie fut belle, malgré les dangers, malgré la fuite en Égypte, malgré les incertitudes… Pour toi, c’est le même Esprit qui souffle au cœur de ta vie et te donne d’engendrer une vie nouvelle.

« Éveille-toi, ô toi qui dors »
La vie, ta vie, ne peut pas se réduire à tes rêves, et c’est tant mieux ! Pour autant, continue de rêver, mais quitte d’abord les chimères et les illusions.
La première des illusions, c’est celle de la facilité. Lorsque tu vois un grand artiste, tu peux te dire que c’est grandiose et magnifique, mais tu peux oublier que le talent ne fait pas tout, et que chaque jour il faut travailler. Par exemple, l’immense artiste qu’était Marc Chagall a dû travailler, il a pris des cours de dessin et de peinture. Chaque jour, dans son atelier, il œuvrait pour que son talent puisse s’exprimer au mieux. Chagall a écouté les conseils, il était parfois déplacé par des critiques acerbes ou encouragé par des bonnes critiques… alors il reprenait son travail et son œuvre.
La deuxième illusion, c’est d’imaginer que tout doit être parfait et sans accroc pour que ta vie ait un sens… C’est une grande chimère. C’est l’illusion qui te fera croire, tôt ou tard, à 30, 40, ou 50 ans que ta vie actuelle n’est pas parfaite, parce qu’elle ne te comble pas totalement et alors tu voudras tout remettre en cause, tout quitter, tout exploser, pour recommencer une vie qui, pour le coup, serait parfaite… L’illusion de la perfection est une grande source de déception. Pour la contrer, regarde le Christ : a-t-il eu une vie parfaite, au sens de la réussite sociale ? Non, le Christ a une vie donnée, totalement, mais elle n’était pas parfaite car ses amis l’ont abandonné, car sa parole n’était pas toujours entendue… Ce qui donne force et sens à une vie ce n’est pas l’image que l’on te renvoie, mais ce qui a été semé discrètement par ton œuvre de charité. « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Pas de vie plus réussie, plus parfaite que celle qui s’est accomplie dans l’amour de soi, des autres et de Dieu.
Et enfin, troisième chimère, l’illusion que l’on peut tout avoir, et tout de suite. Tu regardes Kylian Mbappé, qui a 20 ans, et tu te dis : « si je n’ai pas son talent, son argent et sa gloire à 20 ans, c’est que je suis passé à côté de ma vie ». Or, le Christ n’attend pas de toi que tu deviennes un autre Mbappé, il attend de toi que tu sois toi, et que peut-être à 20 ans, selon les critères du monde, tu n’as pas le même argent, la même gloire, la même stature sociale, mais là n’est pas l’essentiel. Prends d’autres exemples, celui du lieutenant Tom Morel, qui malgré sa jeunesse, comme tant d’autres à son époque, a choisi de donner sa vie pour son pays, parce qu’il vivait sa vocation d’homme et de militaire avec la conscience que Dieu l’attendait à ce moment-là, sans se comparer aux autres. Regarde la vie de Pierre Giorgio Frassati, qui n’a pas attendu la fin de ses études ou d’être marié, pour vivre de foi, d’espérance et de charité ! Je le constate aussi dans certains étudiants que j’ai vu vivre à Aix une vraie recherche, profonde, de sainteté…

Alors ouvre les yeux sur « la merveille que tu es » (Ps 138), regarde les autres, mais pour t’élever et non te désespérer, pour t’inciter à être saint, ici et maintenant. La vie avec le Christ, la vie en abondance, en plénitude de sainteté, tu peux la vivre ici et maintenant. Bien sûr, ce n’est pas sans combat, sans chute, sans réajustement, mais tu peux la vivre avec audace et force.

« Ce qu’il vous dira, faites-le »
Une fois décidé à être saint, il s’agit de transcrire tes désirs dans la réalité. Cela implique de renoncer à telle ou telle chose, notamment ces illusions dont je te parlais, mais il s’agit fondamentalement, d’abord, de choisir la voix de la sainteté, et puis de faire élection, de décider ce qui est bon pour toi, dans ta vie personnelle, dans ta vie de prière, dans tes choix professionnels, dans tes engagements quotidiens, etc. Il s’agit de ne pas rester à la frustration de ne pas arriver à vivre telle ou telle chose dans ta vie, mais de transformer cette frustration en une force de vie. Tu ne peux pas tout vivre tout de suite et tu ne vivras pas tout dans ta vie, mais d’une manière ou d’une autre, ta vie pourra être grande et sainte !
Kennedy disait que « chaque personne peut faire la différence, et que chacun devrait essayer ». Il s’agit, mon cher, ma chère, de vouloir vivre ta vie de sainteté à la suite du Christ, ici et maintenant.
Que faire pour cela ? Travaille, apprends, lis, explore, expérimente, tente, ose, lâche-toi, pose des choix positifs et des renoncements, cultive en toi l’audace et la joie !
Lorsqu’il était jeune étudiant en philosophie à la Sorbonne, à 22 ans, Maurice Blondel a écrit cette prière :

« Je veux, que toute ma vie réponde et définisse : je veux.
Je veux vouloir avec Dieu, ce que je veux, comme je veux de moi.
Je ne sais ce que c’est, mais avec Lui je puis tout ce que, avec moi, je ne puis pas.
Devant Dieu, je serais un instrument,
pour que, par surcroît, aux yeux humains, je sois quelqu’un.
Je veux, je veux aujourd’hui, pour dire demain : « nous voulons »,
pour dire en mourant : « Il veut » 
».
        A 22 ans donc, Maurice a pris cette décision de mettre ses pas dans les pas du Christ, de vouloir avec Dieu, et de se laisser convertir à sa volonté. Sans doute il ne lui était pas facile d’écrire cela, sans doute il a mis ensuite toute sa vie à chercher à correspondre à cette volonté initiale. Mais, un jour, à 22 ans, il a posé un acte de confiance, d’audace et d’espérance. Il a compris, qu’en mettant sa volonté à suivre Dieu, il deviendrait pleinement ce à quoi Dieu l’appelle.
Comme Maurice, je t’invite à être coopérateur de l’œuvre de Dieu en toi. Dieu travaille en toi, par son Esprit Saint. Dieu travaille en toi, pour que toi tu puisses travailler avec les autres, que tu puisses œuvrer dans le monde. Tu es appelé à être acteur, avec le Christ de la recréation du monde. Par sa mort et sa résurrection, le Christ est le ferment de la nouvelle création.Tu es donc invité à vivre ce temps de grâce d’être acteur de la recréation du monde. Ainsi donc, les dangers du monde, le dérèglement climatique, la peur de l’employeur, de l’engagement, etc. tout cela devient secondaire, car l’Esprit de résurrection est avec toi, et car l’Esprit, au milieu de toutes ces difficultés t’invite à construire du neuf, a engendrer une vie nouvelle.
Le Seigneur, par son Esprit Saint, t’invite à être créateur d’une nouvelle fraternité, d’une solidarité nouvelle. Le Seigneur t’invite à donner ta vie ici et maintenant, car il t’a providentiellement mis là, à tel endroit sur terre, à tel moment de l’histoire de l’humanité, pour que tu t’éveilles et pour que, vivifié par sa vie, tu donnes du sel au monde, de la lumière aux hommes, pour que tu donnes ta vie aux autres.
Je t’invite à prier la Vierge Marie, petite femme de Galilée qui, malgré les incertitudes et les risques, a mis sa volonté à suivre Dieu :
« Sainte Marie, Mère de Dieu,
tu as donné au monde la vraie lumière,
Jésus, ton fils – Fils de Dieu. 

Tu t’es abandonnée complètement à l’appel de Dieu
et tu es devenue ainsi la source de la bonté qui jaillit de Lui. 

Montre-moi Jésus.
Guide-moi vers Lui. 

Enseigne-moi à Le connaître et à L’aimer,
afin que je puisse,
moi aussi,
devenir capable d’un amour vrai
et être source d’eau vive au milieu d’un monde assoiffé
 »*
Que le Seigneur bénisse tes rêves !
Dimanche 20 janvier 2019, Aix-en-Provence,
Père Thomas Poussier, Aumônier des étudiants d’Aix-en-Provence
* Prière de Benoit XVI dans son encyclique Dieu est amour