Homélie du 19 novembre

« Qui que tu sois ! Quoi que tu fasses ? »

Cet été, je suis allé au cinéma avec un étudiant. Cet étudiant demande deux places à la caissière, en précisant « un adulte et un étudiant ».
Je confesse avoue avoir beaucoup ri intérieurement, en entendant ce fait qu’il y avait parmi nous, deux personnes majeures, une personne adulte et une autre qui ne l’était pas, puisqu’elle était étudiante…

En lisant l’Évangile que tu reçois ce soir, j’ai vraiment eu l’impression que le Christ posait cette question à toi qui est étudiant : es-tu un adulte ou un adolescent ?
Le propre de l’adulte, c’est le dictionnaire qui le dit, c’est d’avoir quitté l’âge d’adolescence… C’est-à-dire que tu es rentré dans une démarche qui te pose en homme ou en femme.

À travers la parabole des talents, le Christ t’invite à réfléchir à la manière dont tu mets en œuvre ta vie d’adulte. Dans la parabole, le maître de maison part en voyage, c’est-à-dire qu’il fait confiance aux personnes qui travaillent dans sa maison pour en prendre soin, comme un parent qui fait confiance à son enfant lorsque celui-ci est assez grand pour se débrouiller tout seul. De même Dieu te confie, à toi qui est un adulte, les clés de ta vie, non pour se désengager de ta vie, mais pour te donner de la vivre pleinement.

Il s’agit dans la parabole de ce soir de ne pas se focaliser sur la dureté du maître de maison, avec ses paroles dures sur « les pleurs et des grincements de dents » (sans en enlever l’exigence), il s’agit d’abord de s’appuyer sur la confiance du maître de maison, car c’est cette confiance qui est première.
Ainsi, Dieu te fait profondément confiance pour devenir un adulte, c’est-à-dire un homme ou une femme responsable : « responsable » ça veut dire « qui répond », qui répond de ses actes, qui répond à l’invitation du Seigneur à la vie, qui s’engage, qui se donne.

Dieu te prend vraiment sérieux. Et toi ? Est-ce que tu te prends au sérieux ? Est-ce que tu prends soin de toi ?
C’est-à-dire est-ce que tu mets en œuvre l’amour de toi-même que le Seigneur t’a donné comme commandement, c’est-à-dire comme ligne de vie ?
Est-ce que tu te prends en main, lorsque tu ne prends pas soin de toi, lorsque tu n’accueilles pas la merveille que tu es aux yeux de Dieu ?
Est-ce que tu prends soin de toi lors ce que tu es toujours dans le dénigrement de ta personne et la comparaison qui te rabaisse vis-à-vis des autres étudiants ?
Est-ce que tu prends soin de toi, lorsque se profile un bal d’une célèbre école d’Aix-en-Provence, et que tu l’abordes avec l’envie non pas de faire la fête, mais d’atteindre le plus rapidement possible un taux d’alcoolémie excessif, mortifère et vomitif ? [note que je ne stigmatise ni l’école en question ni ses élèves]
Un des talents que Dieu t’a donnés, c’est de prendre soin de la merveille que tu es ! Dieu croit en toi, il voit tes qualités, tes dons, tes grâces. S’aimer, ce n’est pas de l’orgueil ou de l’autosatisfaction, c’est accueillir le don que tu es pour le monde. (Qui que tu sois, mais pas quoi que tu fasses !)

À partir de cet amour de toi-même, le reste peut s’engager, dans ta relation à Dieu, dans ta relation aux autres ! Un des maîtres mots de la vie chrétienne, c’est justement l’engagement, la détermination à répondre à Dieu, répondre à cette invitation qu’il fait à tout homme et à toute femme de prendre sa place dans le monde, dans l’Eglise, de se donner pour vivre et pour que le monde ait la Vie en son nom !

Alors tu peux être comme ce serviteur de la parabole qui dit au Seigneur : « j’ai peur ». Tu peux avoir peur de ta vie d’adulte, de l’engagement.
Tu peux avoir peur bien sûr, mais tu ne peux pas en rester à la peur, le Seigneur t’invite à agir – quitte à te tromper – mais à agir, non pas à t’endormir de peur que la vie te déborde ! Comme te le dit saint Paul « Ne reste pas endormi comme les autres, mais soit vigilant et reste sobre ! ».

Lorsque je pense à tous les étudiants aixois, c’est-à-dire l’immense majorité des 45000 qui ne vient pas dans cette église ou dans une autre, il me revient souvent ce verset de saint Paul, en pensant qu’ils sont endormis, sans même le savoir…
Non pas que vous vous soyez des purs et qu’eux seraient des damnés, ce n’est pas de cet ordre-là, mais il leur manque la lumière de l’Évangile pour vivre en plénitude, pour aimer en vérité… Et c’est une souffrance pour moi d’en savoir tant sans cette lumière du Christ.

Toi tu as cette chance de connaître le Christ, et de chercher à te nourrir de lui… Ton rôle est de veiller, d’empêcher que les autres s’endorment sur les oreillers des plaisirs faciles, futiles et éphémères… mais pour cela, il faut t’engager à la suite du Christ, car être chrétien, c’est marcher à la suite du Christ. Il s’agit d’abord de déposer tes peurs au Seigneur, de demander qu’il t’en délivre, et de ne surtout pas attendre qu’il te délivre de toutes tes peurs pour pouvoir t’engager.
La peur ne doit pas t’empêcher de t’engager, elle doit être au contraire comme un aiguillon pour éviter de te croire tout-puissant.
Je ne sais pas avec qui tu vas te marier un jour, mais je peux t’assurer que le jour de ton mariage, tu auras encore quelques peurs, et que pourtant tu pourras t’engager et dire ‘oui’. De la même manière, peut-être tu songes à t’engager dans la vie sacerdotale ou religieuse, eh bien je peux t’assurer, que le jour où tu rentreras au séminaire ou dans un couvent, tu auras encore peur, y compris le jour de ta consécration ou de ton ordination.
Et le jour où tu attendras des enfants, tu auras encore peur, mais tu le feras quand même ! Et le jour où tu vas passer ton concours, tu auras peur, mais tu le feras quand même. Le problème du serviteur rejeté par son maître dans l’Évangile, c’est justement de n’avoir rien fait parce qu’il avait peur, il a laissé la peur le paralyser.

Tu as des peurs ! Ça prouve que tu es vivant, mais ne laisse pas la peur te paralyser et t’empêcher de mettre en œuvre les talents que le Seigneur t’a confié !
Le pire dans la vie spirituelle, au fond, ce n’est pas de tourner le dos à Dieu, c’est de le fuir par peur de ce que le Seigneur peut faire en toi et pour toi.

Le Seigneur te presse à l’engagement, il sait que tu peux t’engager avec tes peurs, et il t’invite à t’engager, à risquer tes talents, à t’engager avec tout ce que tu es, avec ce qu’il y a de bien formé et de solide en toi, avec ce qui est plus fragile et chétif…
Le Seigneur te connaît, il veut le meilleur pour toi-même, il te confie les clés de sa maison. A toi de prendre ta place d’adulte dans le monde, à toi de répondre à Dieu. S’engager, c’est répondre à l’appel de Dieu, c’est vivre sa vocation de baptisé.

S’engager, c’est dire au Seigneur : « j’ai peur, mais je m’engage, viens en aide à mon peu de foi ! Délivre-moi de tout mal, Seigneur, et donne la paix à mon cœur ; par ta miséricorde, libère-moi du péché, rassure-moi devant les épreuves, en cette vie où j’attends ta venue dans une grande espérance ! »