Homélie du 25/02/18- La transfiguration c’est maintenant

La semaine passée, je parlais ici de Bart Withaker, condamné à mort pour les meurtres de son frère et de sa mère et pour la tentative de meurtre de son père. Pardonné par son père, converti en prison, il a vu sa peine commuée en prison à vie 40 minutes seulement avant l’heure prévue pour son exécution. Lorsque vendredi matin j’ai lu cette bonne nouvelle, je me dit alors que j’étais témoin d’une transfiguration, cette lumière du Christ au milieu du sombre de la vie des hommes. Cette bonne nouvelle de la grâce donnée par un homme que je ne connais pas, le gouverneur du Texas, à un autre homme que je ne connais pas, c’est la lumière du transfiguré qui éclate au milieu du sombre de la vie.

Non pas que la vie soit en permanence une vallée de larmes et de désespoir, mais il y a quelque chose de puissant, de surpuissant dans tout ce qui est de l’ordre de la grâce et de la transfiguration. La grâce divine vient transfigurer le monde et vient révéler par des petits coins de paradis la lumière qu’il y a derrière ces nuages et brouillards.

Jésus, en étant transfiguré, resplendissant, ouvre un petit coin de paradis et nous révèle le mystère de notre vie avec lui, de notre vie divinisée. Ce mystère-là n’est pas un mystère seulement pour le futur, pour le jour notre mort et de la résurrection de la chair, mais un mystère bien actuel, déjà-là, accessible. C’est bien ce que Christ veut te dire lorsqu’il dit « le royaume des cieux est tout proche ». Le royaume des cieux, c’est la vie dans la grâce, et toi et moi, par notre baptême, nous pouvons dès maintenant goûter cette grâce !

Ce que le Seigneur te donne de vivre dès maintenant, c’est un surcroît de lumière, d’amour, et de paix, alors même que tu n’es pas à la hauteur de cela. C’est bien pour cela que la grâce, à la même origine que le mot gratuité. Qu’est-ce qu’on fait Pierre, Jacques et Jean pour mériter de voir le Christ transfiguré sur une montagne ? Rien !

Il n’y a rien en toi qui soit capable de te donner l’accès aux mystères de la vie en Dieu. Il faut que ça vienne de lui et que tu accueilles ce mystère donné dans ta vie. C’est bien ce que veut dire saint Marc lorsqu’il écrit : « ses vêtements devinrent resplendissants, d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille ». Il s’agit donc de ne pas se tromper de combat, de ne pas chercher le salut dans tes propres forces. Tes capacités d’homme et de femme, malgré toute ta bonne volonté, ne pourront t’aider à te blanchir par toi-même.

On pourrait croire pourtant que c’est ce qu’arrive à vivre Abraham : il écoute Dieu, il agit bien, et parce qu’il agit bien il est récompensé… Ce n’est pas tout à fait faux, mais c’est une lecture un peu rapide de ce passage si important de la Bible, et en même temps si trouble et compliqué à accueillir. Dans ce passage du livre de la Genèse, Dieu demande à un père de tuer son fils. C’est a priori incompréhensible pour qui croit en un Dieu amour… Mais soyons clairs, l’enjeu de la scène n’est pas d’abord de tuer le fils, ce texte est sans doute dans les premiers récits de la Bible pour dire à quel point Dieu ne veut pas la mort des hommes, contrairement à toutes les autres religions de l’époque qui encourageaient les sacrifices humains. Ce récit est souvent appelé le sacrifice d’Abraham, et non pas le sacrifice d’Isaac, qui est celui qui pourtant lié, posé sur le bois (un fils enchainé, posé en sacrifice sur le bois, ça ne te dit rien ?…). Le sacrifice est celui du père, prêt va perdre « son fils, son unique, celui qu’il aime, Isaac ». Dieu appelle Abraham à faire cela, en insistant bien sur le fait qu’Isaac est un enfant qu’il a dû attendre pendant 100 ans, que c’est son unique, son fils bien-aimé. Abraham va être trouvé juste, parce qu’il va accepter de s’en remettre à Dieu seul. Abraham te montre ainsi deux postures du croyant : d’une part ne pas capter les dons de Dieu (en l’occurrence son fils), d’autre part, se fier à l’écoute de ce que Dieu lui dit plutôt qu’à ses raisonnements. Il entre ainsi dans l’obéissance, c’est-à-dire littéralement l’écoute de la parole.

C’est dans cette logique que Dieu t’invite à vivre : reconnaître que tout vient de Dieu, et que ta vie va être une réponse à ces dons reçus, pour le rendre à Dieu, pour le transmettre aux hommes et aux femmes qui t’entourent. « Voici mon fils, écoute-le » te dit ton Père des cieux, et, parce que le Christ est le chemin, la vérité et la vie, choisis la vie, délaisse le mal et la mort. Abraham ne s’est pas laissé prendre dans une logique de mort, il a choisi la vie, il a choisi de faire la volonté de Dieu, c’est pour cela qu’il « recevra une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et le sable au bord de la mer »… Lorsque tu cherches à faire la volonté de Dieu, ne retiens pas pour toi ce qui pourrait entraver ta bonne marche avec Dieu.

Vendredi soir, lors de la messe pour lutter contre les addictions, il m’est apparu clairement que l’addition a ceci de particulier que c’est une forme de mal particulier qui ferme le cœur de ceux qui en sont victimes. L’addiction referme sur soi, comme dans une espèce de trou noir. Or il n’y a pas un lieu de ta vie dans lequel la lumière du Christ transfiguré ne peut apparaître, que ce soit une addiction ou un autre mal qui touche ta vie, il n’est pas un endroit de ta vie qui ne puisse être délicatement touché par la lumière du Christ transfiguré. Trop souvent, nous voyons la transfiguration comme une sorte de grand flash violent, alors que, même si c’est une puissante lumière, c’est avant tout la douce lueur du matin de Pâques, cette douce lumière de la résurrection qui vient se poser sur ce qui est encore fermé en toi, sur les tombeaux qui sont peut-être toujours fermés dans ton cœur.

« Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » demande saint Paul Comment ne pas recevoir par Jésus tout ce que le Père veut nous donner ? Au milieu de la nuit, au milieu de tes combats, il y a cette lumière qui est là, pas seulement pour t’éclairer, mais aussi pour t’ouvrir les yeux, pour t’ouvrir le cœur, pour te convertir, pour que tu redeviennes sans cesse plus un enfant de lumière et un porteur de la lumière dans le monde.

Accueille dans cette eucharistie la présence du Christ ressuscité, qui te fait passer des ténèbres à son admirable lumière. Quand la nuit est trop forte autour de toi, quand les tentations t’assaillent, par lui, avec lui et en lui, remets-toi dans les mains du Père. Deviens un croyant comme Abraham, fais confiance à Dieu ton Père. Il t’a donné son Fils unique, il t’a la vie, il t’a tout donné, accueille la vie que Dieu donne en abondance et avance pour trouver ta plénitude en Dieu et dans l’amour de tes frères