Homélie du 18/02

C’est l’histoire de Bart Whitaker, Américain, texan. Un soir de décembre 2003, son père, sa mère, son petit frère et lui sont pris pour cible par des cambrioleurs. Ils reviennent alors du restaurant, où ils ont fêté le diplôme universitaire de Bart. Les cambrioleurs tuent la maman et le plus jeune frère, le père est grièvement blessé, Bart est blessé légèrement au bras. Le père est un chrétien pratiquant, et il raconte que, « Dieu est venu à sa rencontre dans sa chambre d’hôpital, la nuit même des tirs, et lui a permis de parvenir à un pardon miraculeux ». Mais l’histoire s’arrête pas à ces deux morts et deux blessés. L’enquête montre que Bart n’est jamais allé à l’université, qu’il n’en a donc pas été diplômé, mais que c’est lui qui a commandité le meurtre de sa famille, pour toucher l’héritage.

Pourquoi est-ce que je raconte cette terrible histoire ? Parce que cette histoire horrible nous ramène au commencement, à la haine du frère, Caïn vis-à-vis d’Abel, nous ramène à la suspicion vis-à-vis de l’autre, Adam vis-à-vis d’Eve, et elle nous ramène à chacun chacune de nos histoires personnelles, familiales, et d’une manière générale à la violence dans notre cœur. Même si dans notre cœur il n’y a pas le degré d’horreur de cette histoire, il n’empêche : le mal que nous commettons, ou nous subissons, participe à la même destruction, à la même désolation, à la même question du manque de sens. Et le Christ est venu traverser le mal commis par Bart, le mal commis par Caïn, le mal par Adam et Ève, le mal que nous commettons vous et moi. Le Christ, au désert, est « tenté par Satan », il « vivait parmi les bêtes sauvages ». Ainsi, il va jusqu’au bout de notre humanité, jusqu’au plus profond de la violence. Nous en ferons mémoire le Vendredi Saint, mais dès le début de ce Carême, nous contemplons ce Dieu qui va jusqu’au bout, parcourant toute la distance nécessaire pour nous dire : « les temps sont accomplis, le règne de Dieu tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ».

Qu’est-ce que donc que croire à l’Évangile ? Qu’est-ce que croire à la Bonne Nouvelle sinon de reconnaître que le Christ vient rompre l’isolement de l’homme dans ce qu’il y a de plus terrible, que ce soit le mal qu’il commet ou le mal qu’il subit, ces moments où l’homme est seul avec ses démons, et ils sont parfois légion, avec ces bêtes sauvages qui oppressent et poussent à faire le mal.

Dès le début de ce Carême, nous avons besoin d’entrouvrir notre cœur à cette Bonne Nouvelle, c’est-à-dire à nous attacher à lui, à le prendre comme la bouée qui nous empêchera de nous noyer, la corde qui nous empêchera de tomber lors de notre ascension. Lorsque tu commets un péché, tu te laisses faire par ces bêtes sauvages, tu tournes le dos à Dieu, et aussi tu tournes le dos à toi-même. Tu n’es plus toi-même quand tu pèches, parce que tu n’es pas fait pour pécher, tu es fait pour la gloire de Dieu. Comme le dit saint Pierre, tu es fait pour « t’engager envers Dieu d’une conscience droite ». Mais ce n’est pas simple de vivre d’une conscience droite, c’est un profond combat spirituel. Le Christ connaît ton combat, il le prend sur lui, il le prend en lui, en vivant au désert.

Croire à l’Évangile, c’est croire que le Christ peut faire jaillir la résurrection, c’est croire que le Christ peut faire jaillir la miséricorde là où il n’y avait que le péché, c’est croire que le Christ est tout proche de toi, bien plus proche que le mal ne le sera jamais.

En t’attachant à lui, tu deviendras ce que tu es, tu seras heureux et resplendissant de la gloire des enfants de Dieu. Ce que je te dis là, ce n’est pas une promesse, un gentil mot de prêtre pour te consoler à bas prix du fait que tu as péché. Tu as péché, encore, et peut-être même tu as péché alors que tu ne le voulais pas. Non, il n’y a pas de consolation à bas prix face à la violence, au péché et au mal. La consolation que Dieu nous donne a été acquise au prix du sang de son Fils ! Il ne saurait en être autrement. Dieu nous a donné son Fils pour que nous soyons ses fils, pour que nous redevenions ses fils bien-aimés, pour que nous soyons toujours dignes de notre baptême. Le baptême comme le dit saint Pierre, ce ne n’est pas une purification « d’une souillure extérieure », c’est bien plus radical que cela, c’est le salut par la résurrection de Jésus-Christ, c’est la conversion !

Il y a en toi plus glorieux que tu n’oses te le dire, et cela aussi le Seigneur vient le chercher et l’élever en toi ! Ce chemin de ce Carême c’est aussi cela, non seulement se reconnaître pécheur, mais se reconnaître aimé, pardonné, réconcilié, ressuscité !

La conversion, elle se vit dans le désert de ton cœur, là où tel ou tel aspect de ta vie semble perdu, là où le diable cherche à arracher ton cœur de Dieu pour le ramener à lui. Là où les bêtes sauvages t’assaillent et ne te laissent que peu de repos, c’est là le lieu de la conversion, là où tu peux saisir la main de Dieu qui va te tourner vers lui. Convertis-toi et crois à l’Evangile… à la manière de Bart.

Parce que Bart, non seulement son père lui avait pardonné, avant qu’il sache que c’était lui le meurtrier, mais une fois emprisonné, Bart a ouvert la Bible, il s’est laissé convertir par le Christ, à la manière du Bon larron, qui se tourne vers le Christ alors même qu’il était condamné. Bart portera toujours les cicatrices de la faute d’avoir fait tuer sa mère et son frère et d’avoir voulu tuer son père, mais les cicatrices de Bart sont apaisées par le pardon de son père et par le pardon de Dieu pour lui.

Depuis le jugement, son père supplie les juges de le laisser en vie, et encore aujourd’hui, de commuer la condamnation à mort en prison à vie, pour l’instant sans résultat. Bart, sauf action du gouverneur du Texas, sera exécuté jeudi prochain. Cette histoire, où l’horreur côtoie la grâce, est lointaine, mais elle nous est proche aussi. Nous sommes solidaires de Bart dans la violence comme dans l’accueil de la grâce. Le Christ, en proclamant que les temps sont accomplis, rappelle que rien n’est détruit à jamais, dans la vie de Bart comme dans la nôtre.

Ce soir, je te propose de prier pour Bart et sa famille (vivant et défunts), pour que sa peine soit commuée, si telle est la volonté de Dieu. En priant pour Bart, tu mets en œuvre ton baptême, tu entres dans l’humanité nouvelle, celle qui prie pour ceux qui font souffrir.

Seigneur, nous te prions de pardonner à Bart, de renouveler en lui ton Esprit et de sans cesse plus le convertir. Nous te prions pour lui et pour tous ceux qui souffrent de leurs péchés, nous te prions pour nous-mêmes, pauvres pécheurs. Aide Bart dans les jours qui viennent, aide-nous dans ce Carême à renoncer au mal, à nous attacher à toi, à vivre de notre baptême et à te suivre chaque jour.